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Une apologie libre de la foi chrétienne
(Partie 1)

Il y a un coût psychologique à abandonner ses croyances. Tout un monde peut se trouver exposé à l’écroulement. Et, a priori, personne ne serait disposé à regarder, passif, s’écrouler son monde, tel qu’il soit. Cela dit, contrairement au regard hâtif qu’un outsider pourrait être tenté de porter sur un système de croyances, ce qui en rend l’abandon possible n’est pas d’abord ses difficultés ou contradictions internes. Ces dernières sont, bien plus souvent qu’on ne le pense, de nature à stimuler la pensée du croyant, pour peu que celui-ci eût consenti un seuil d’investissement initial.

 

Les « religions du livre » peuvent en ce sens se prévaloir d’une grande agilité comparée aux autres. Leurs contradictions, apparentes ou réelles, fixées dans du noir sur blanc, sont paradoxalement un facteur de contention qui entretienne la dynamique d’une croyance qui se pense, une croyance qui n’est pas au repos, une « croyance non croyante », dirait mon vieux professeur de philosophie. Cela explique sans doute en partie la tendance à la domination de ces religions.

 

Le christianisme, entendu comme système de croyances ou vision du monde, est en ce sens un cas d’école fascinant. Ses supposées contradictions, qui restent souvent insurmontables à l’outsider, sont l’objet d’exégèses ou d’interprétations multiples qui s’inscrivent dans cette dynamique réflexive. Le fait est curieux dans la mesure où le croyant chrétien est appelé à se satisfaire de son statut de « pauvre en esprit ».

 

Et pourtant, cette pauvreté, bien comprise, contient en germe la force d’un double mouvement de pensée. D’abord, la volonté du croyant d’accepter la vérité révélée. Ensuite, son engagement à exercer sa raison à l’intérieur du cadre défini par cette vérité. La raison, dans ce partage, n’est plus guère l’ennemi de la foi. Elle est bien plutôt à son service.

 

L’ordre allant de la foi à la raison est sans doute le plus grand écueil à l’outsider qui cherche volontiers à l’inverser. Son pari consiste à soutenir que sa raison seule peut le conduire à la vérité. Que s’il fouille suffisamment bien à l’aide de cet « instrument infaillible », il finira par trouver cette vérité là où elle se cache. Il ne lui arrive donc pas de douter de sa raison (ou s’il doute il ne pousse pas le doute jusqu’à son terme). Et si celle-ci avait des points aveugles ? Et s’il y avait quelque chose de non-paramétrable, d’insaisissable par la raison, quelque chose qui constituerait une part importante de cette vérité recherchée ? Et si quelque chose se dérobait à la raison ?

 

Dans cette quête de vérité par la raison, se met en place la même dynamique qu’on observe chez le croyant. Après un certain seuil d’investissement, l’outsider se fossilise dans sa recherche de la vérité, introuvable précisément parce qu’un pan important de cette vérité se situe par-delà la raison, l’instrument dont il se sert pour la trouver.

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Mais ce qu’il convient surtout de mettre en avant est que chemin faisant, l’outsider se construit une notoriété de pourfendeur de « fausses vérités ». Dans cette mise en route, la quête de vérité initiale s’oublie pour se permuter en autre chose, en l’occurrence en un système de croyances parallèle qui ne s’identifie pas comme tel. Et puisqu’il y a un coût psychologique à abandonner ses croyances, lui aussi se positionne pour défendre sa « non-croyance » (devenue croyance peut-être à son insu) à laquelle il s’agrippe, comme le croyant à sa croyance.

 

Ce décor planté, il faudrait voir, en rapport au système de croyances ou de la vision du monde du christianisme qui m’intéresse, ce que l’outsider-pourfendeur de « fausses vérités » dresse comme argumentaire. Et étant donné que, sociologue, je suis sensible aux questions de société, je commencerai par considérer l’argument sociohistorique de l’impact social de la chrétienté sur les sociétés. Ou encore des injustices de l’église au cours de l’histoire. Cet argument m’interpelle d’autant plus que je suis d’un pays qui est tenu, par certains, pour être la première grande victime historique du déploiement du christianisme.

 

L’argumentaire sociohistorique se décline en plusieurs points que je ne vais pas énumérer ici (j’y reviendrai peut-être). Je me contente de le considérer à partir du lieu de l’outsider du tiers monde ou des pays anciennement colonisés. Il se résume ainsi : « Le christianisme, est la religion de domination du blanc esclavagiste et colonialiste, qu’il a imposée et/ou léguée aux plus écervelés de ses anciens colonisés » (certains sont plus respectueux dans leurs propos. Ils m’excuseront de forcer un peu les traits ici. Ils comprendront que pire se dit aussi en ce sens). On déduit de cet argument, qu’une quête de vérité ne saurait s’attarder sur le chemin d’une religion aussi horrifiante. Cette déduction s’accompagne souvent de mépris et de regard hautain.

 

Les objections à la foi chrétienne sont donc souvent motivées par cet « argument mille pieds » qui peut prendre à tour de rôle un air antiesclavagiste, anticolonialiste, antiimpérialiste, anticapitaliste et anti-néolibéral. Le postulat étant que le christianisme est la religion de toutes ces formes de domination. A l’intérieur de cet argumentaire, il y a des approximations, des grossissements de traits, des mécompréhensions, des confusions, des anachronismes, des affabulations, du pharisaïsme. Mais, ce n’est pas la voie qui m’intéresse.

 

Nous savons tous, les grandes injustices de l’église. Et le chrétien ne gagne en rien à faire semblant que l’inquisition ou la « campagne des rejetés » n’eurent jamais lieu ; que les croisades n’existaient pas ; que l’idéologie esclavagiste et colonialiste n’avait pas instrumentalisé la foi chrétienne ; que les abus sexuels sur mineurs et femmes n’existent pas aujourd’hui ; que les fidèles ne sont pas manipulés par des gens cupides. Dans le cas d’Haiti, je me demande même, inquiet, quel sens un chrétien trouve-t-il à faire l’éloge de l’élimination du vodouisant ; à promouvoir une « république de chrétiens » où les valeurs et la croyance chrétiennes seraient imposées aux « mécréants ». L’histoire n’enseigne-t-elle pas assez clairement que l’imposition ne conduit jamais à l’appropriation? Mais mieux, le Christ ne nous enseigne-t-il pas qu’on ne s’engage sur la voie de la vérité et du salut que par un acte libre de sa seule volonté, loin de toute forme d’imposition? Ce n’est pas sans raison que le salut demeure, dans les saintes écritures, quelque chose de strictement « personnel ».

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Les injustices et les actes manqués des chrétiens, y compris moralement, sont réels. Et nous avons besoin, nous chrétiens, de nous regarder dans le miroir et nous demander sincèrement à quel point nous sommes une disgrâce pour la foi que nous professons. Mais, je ne suis pas là pour prêcher aux fidèles. Mon propos est ailleurs.

 

L’argumentaire sociohistorique se doit aussi de procéder à un retournement sur lui-même. Pour deux raisons essentielles. D’abord, parce que la vérité d’une vision du monde ne se mesure pas à l’aune de son impact social. Celui qui cherche à connaitre vraiment la vérité, doit se débarrasser de cet argumentaire à-tout-va. Les failles morales des chrétiens (qui méritent, je l’ai dit, d’être traitées) n’invalident en rien la vérité de la foi chrétienne. Mais surtout, parce que l’argumentaire sociohistorique pèche, à mon sens, par excès de zèle. Il ignore toute l’histoire intellectuelle et morale du christianisme. La méconnaissance (ou le « silencement » consciencieux) de cette histoire a deux conséquences majeures. D’une part, elle rend possible une vision étriquée de la chrétienté. Celle-ci se trouve le plus souvent réduite au colonialisme, à l’impérialisme et à toutes les formes d’imposition par la force. La morale et la pensée chrétiennes révolutionnaires n’auraient ainsi joué aucun rôle dans l’hégémonie de la vision chrétienne du monde. On fait ainsi l’impasse sur les raisons qui ont conduit la pensée chrétienne, comme le rappelait Luc Ferry, à triompher de la philosophie grecque pendant des siècles, et au moins jusqu’à la renaissance. On feint aussi d’ignorer que, bien avant les droits de l’homme par exemple, le christianisme avait procédé à une valorisation intrinsèque de la personne humaine, de sa dignité.

 

Ce silencement de l’histoire morale et intellectuelle du christianisme conduit à l’attaquer dans les banalités qui se donnent à observer dans le quotidien du voisin chrétien d’en face, ou dans l’absurdité des pratiques de « l’église du quartier », en mal de paraitre. On fait semblant d’ignorer que de telles banalités sont davantage l’expression d’une société en désintégration qu’une réelle preuve de l’aliénation dont on accuse souvent le christianisme d’être vecteur. C’est ce même phénomène de désintégration qui se manifeste dans toutes les sphères de la vie publique et collective haïtienne. En politique elle prend une couleur rose ; en religion elle se fait nommer prophète (comme Mackenson) ; en économie elle juche sur une cupidité crasse rivalisant de méchanceté ; dans les relations interpersonnelles et de groupe, elle se fait jeu de maitre dames ou d’« intelligents ».

 

Bref, l’argumentaire sociohistorique vaut ce qu’il vaut. Mais celui qui est en quête de vérité aura été sage de ne pas s’arrêter à ce corps d’arguments. Il y a bien d’autres arguments bien plus sérieux, à mon sens. Je me ferai le plaisir de les examiner aussi au moment opportun.

 

 

Dr. Jean Abel Pierre

Pasteur/Sociologue

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